Interview exclusive – Bernard Lions : « Pierre Ménès a inventé un nouveau métier »

bernard lions itw 2

Le visage de Bernard Lions ne vous est sans doute pas étranger. Sinon, vous avez déjà entendu sa voix à la radio ou lu ses papiers dans L’Équipe. Entretien avec un journaliste multisupports.

Foot sur 7 – Vous êtes un observateur privilégié de l’AS Saint-Étienne, actuellement 6e de la Ligue 1. Quelle suite de saison envisagez-vous pour les Verts ?

Bernard Lions – Nous nous dirigeons aujourd’hui vers un championnat de Ligue 1 à l’espagnol, où Monaco et Paris se détachent. Derrière, les clubs historiques comme Lyon, Lille ou Nantes sont sur une pente descendante. La dynamique est désormais stéphanoise. Les finances sont saines, même si le club est déficitaire. Sainté a vraiment un coup à jouer, comme l’an dernier. Il faudrait même encore aller plus haut que la saison passée. Dans ce championnat, les Verts en sont capables. Toutefois, il faut faire attention. Ils se sont beaucoup renforcés après l’élimination en Ligue Europa et ont dû modifier leur système de jeu : tout cela n’est pas très cohérent.

Avec le départ d’Aubameyang à Dortmund, le club s’est clairement affaibli offensivement.

Ce départ était programmé, c’est un cas d’école : il aurait dû être anticipé. Dès le mois de janvier dernier, Aubameyang avait annoncé dans L’Equipe qu’il allait partir. Gérer, c’est prévoir. Saint-Étienne avait un plan A, avec Anthony Modeste, mais celui-ci a préféré rejoindre la Bundesliga et Hoffenheim. Quant au plan B, il menait à Modibo Maïga. C’était un plan foireux, l’affaire a traîné. A l’arrivé, les dirigeants n’ont pris personne. Il aurait pourtant fallu recruter un joueur capable d’aider le club à passer les barrages de la Ligue Europa. Ensuite, si la qualification avait été au rendez-vous, ils auraient pu investir dans un joueur de standing plus important. Tout ça n’est pas très sérieux, c’est de l’amateurisme. Aujourd’hui, les Verts en payent le prix fort.

Comment expliquez-vous que Galtier titularise systématiquement Melvut Erding malgré l’inefficacité de celui-ci face au but ?

Melvut Erding a manqué de confiance après son passage au PSG. Aujourd’hui, à Saint-Étienne, il peut compter sur des passeurs de qualité et sur Christophe Galtier, qui est très fort pour relancer des joueurs en perte de vitesse. C’est d’ailleurs lui qui a placé Aubamayeang sur orbite. Pourquoi ne pourrait-il pas relancer Erding, qui est quelqu’un de généreux dans l’effort ? Il colle avec l’état d’esprit des supporters stéphanois. Initialement, il a été recruté pour être un complément ou un remplaçant de Brandao. Aujourd’hui, Brandao est blessé. Les circonstances font qu’il est titularisé. Si Brandao était plein forme, peut-être que cela se discuterait… Mais c’est la seule solution offerte au coach.

Cette saison, Lyon rentre dans le rang. Désormais l’OL boxe dans la même catégorie que les Verts. La rivalité entre les deux clubs pourrait-elle s’en trouver accrue ?

Lyon reste un plus grand club : il possède deux fois plus de salariés et est nettement mieux structuré. Mais le nivellement des valeurs profite aux Stéphanois. Cette année, l’ASSE n’a jamais été aussi proche des Lyonnais. Est-ce l’OL qui s’est affaibli ou les Verts qui se sont améliorés ? Un peu des deux selon moi.

Vous êtes également un spécialiste des Girondins de Bordeaux. Que pensez-vous de l’attitude de Francis Gillot, qui n’hésite pas à critiquer ouvertement ces joueurs ?

Réjouissons-nous de la franchise d’un coach ! Pour une fois qu’un entraîneur n’enfile pas des perles, ça fait du bien ! Gillot dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Il explique les choses clairement, c’est un très bon client pour les médias. Et n’oublions pas qu’il a réussi a gagner la Coupe de France, la saison dernière, avec un effectif en déliquescence.

« Bordeaux n’est pas sur pause mais sur arrêt »

Les Girondins peuvent-ils vraiment descendre en Ligue 2 à l’issue de la saison ?

Je ne pense pas car il existe des équipes beaucoup plus faibles en Ligue 1, comme Valenciennes, Ajaccio ou Sochaux. L’effectif est constitué de bons jeunes et de plusieurs cadres tels que Carrasso, Planus, Henrique ou Obraniak. Ce n’est pas une équipe de juniors. Néanmoins, depuis le titre de champion de France en 2009, deux cassures sont survenues. La première correspond au départ de Souleymane Diawara, qui faisait le lien entre les différentes communautés, à savoir les Bordelais, les blacks et les Sud-Américains. Quand il est parti pour l’OM, l’ambiance a été cassée. La deuxième cassure correspond au départ de Plasil lors du dernier mercato. Comme Diawara, c’est un joueur qui faisait le lien, étant donné qu’il est marié a une Brésilienne et polyglotte. Juste avant la rencontre à Saint-Etienne (4e journée de Ligue 1, défaite 2-1), les joueurs ont appris qu’il allait partir et n’ont affiché aucune volonté sur le terrain. Le but d’Obraniak dans les arrêts de jeu est symptomatique :  personne n’a bougé pour aller récupérer le ballon et tenté d’aller chercher le point du nul. Si Plasil est parti dans un club comme Catane, c’est qu’il voulait absolument s’en aller. Le message envoyé au groupe est terrible. Depuis cette rencontre face aux Verts, Bordeaux n’est pas sur pause mais sur arrêt.

Quel est le degré de responsabilité du président Triaud dans le naufrage girondin ?

Comme de nombreux clubs, Bordeaux se retrouve dans une situation structurellement déficitaire. Ils perdent douze millions d’euros par an.  C’est plus Nicolas de Taversnost qu’il faudrait pointer du doigt. Mais comme M6 n’a pas vocation à être le mécène du club, il y a aujourd’hui une obligation de revenir à l’équilibre financier. Tant que Bordeaux n’aura pas purgé ses gros salaires (Chalmé, Jussiê), il ne pourra pas sortir complètement la tête de l’eau.

 

bernard lions itw1

Où sont passés les 22 millions d’euros du transfert de Yoann Gourcuff à Lyon à l’été 2010 ?

Dans les achats de joueurs comme Modeste ou Ben Khalfallah et toutes les prolongations de contrat. Bordeaux est un club qui a été champion à crédit, comme Lille, qui a été contraint de vendre beaucoup de joueurs suite à son titre. Il faut également compter le versement des primes aux joueurs après leurs matches de Ligue des Champions. L’argent provenant de la vente de Gourcuff a permis de boucher les trous.

Vous êtes souvent surnommé « Docteur Love ». D’où vient cette appellation ?

Je fais partie des anciens de « L’Équipe du soir », avec Didier Roustan et Pierre Salviac. Un soir, une supportrice de Lyon a envoyé un mail, qui était une déclaration d’amour. Je lui avais donné un faux numéro de téléphone à l’antenne, avec un numéro de chambre d’hôtel. Sur le plateau, mes compères étaient hilares. Olivier Menard , le présentateur de l’émission, m’a alors lancé : « Vous êtes le docteur love du foot français » et la régie a envoyé la musique de « La croisière s’amuse ». De cette histoire est née le personnage « Docteur Love ». Les téléspectateurs s’y sont identifiés. Maintenant, ça fait six ans que ça dure. Lors de chaque émission, je suis présenté en dernier et je donne une citation en rapport avec l’amour.

« La télé est un accélérateur de sociabilité extraordinaire »

Vous exercez en presse écrite (L’Equipe), radio (RTL) et télévision (L’Equipe TV). Quel support préférez-vous ?

J’ai toujours voulu faire de la radio. Mais j’ai toujours aussi adoré l’écrit, pour la force des mots. Au bout de dix années de presse écrite, la radio m’a permis de me renouveler. Faire passer une idée avec quelques mots à l’antenne, c’est une autre gymnastique intellectuelle. Ça colle à notre temps. La télé, j’y vais parce qu’on est une bande de potes. Elle donne un accès au grand public, c’est un accélérateur de sociabilité extraordinaire. C’est également une arme à double tranchant : ce que tu gagnes en notoriété, tu le perds en liberté. Personnellement, je n’ai jamais couru après la notoriété. Quand je marche dans la rue, il y a toujours quelqu’un qui me reconnaît. Une fois, j’ai été voir un match de l’OM dans un pub. Je suis sorti fumer une cigarette avec une bière à la main. Plein de mecs m’ont « shooté » avec leur iPhone. Cela m’avait vraiment surpris sur le coup.

Pour vous, les trois médias sont complémentaires.

Exactement. Eugène Saccomano a été le premier visage que les gens ont mis sur une voix. Nous sommes tous des enfants de Saccomano ou de Pierre Ménès. Celui-ci est parvenu à inventer un nouveau métier, en créant le « journaliste-consultant télé ». Non seulement, « Pierrot » a de l’humour mais il connaît très bien le foot.

Quel est le média le plus rémunérateur ?

Je tire principalement mes revenus du journal L’Equipe. Pour la télé et la radio, je suis à peine défrayé. Lorsque je travaillais pour l’émission « 100% foot » sur M6, le prix des piges était assez élevé. C’est normal, il s’agit de la deuxième chaîne de France. Sur W9, c’est déjà moins intéressant…

Des journalistes comme Pierre Ménès, Pascal Praud ou Dominique Grimault ont travaillé pour des clubs professionnels. Seriez-vous tenté par une telle expérience ?

J’ai eu cette opportunité au début de ma carrière. J’aurais pu prendre en charge la communication d’un club dont je ne citerai pas le nom. Je n’ai pas accepté parce que ce n’était pas le bon moment. Je me suis rendu compte que j’étais un piètre communiquant. J’étais fait pour faire du journalisme, pas de la communication. Aujourd’hui, je saurais exactement ce qu’il faut faire pour gérer la communication d’un club. Peut-être que l’opportunité se représentera. On ne sait pas de quoi demain sera fait… Je pourrais effectivement passer de l’autre coté du miroir.

En dehors du football, quelles sont vos passions ?

J’aime trop le foot, même si je ne suis pas monomaniac. J’adore lire et voyager également. Être grand reporter à L’Équipe, c’est un mode de vie. Je passe ma vie dans les hôtels, les gares, je bosse tous les week-ends. Cette semaine (la semaine passée, Ndlr), j’en suis a mon quatrième déplacement. C’est une démarche solitaire, il faut posséder un capacité d’auto-gestion très importante.